Il est surprenant de constater que très peu de données portent sur les raisons de départ des gestionnaires et que l’actualité nous présente continuellement des données sur l’état des salariés. Par exemple, que les employés manquent de reconnaissance, qu’un employé sur deux ne se sent pas écouté par son patron, qu’un nombre élevé d’employés souffre de détresse psychologique, etc. On parle abondamment de l’expérience employé sans jamais faire référence au rôle central que le gestionnaire y joue. Les DRH travaillent très fort pour que l’expérience employé soit réussie, mais l’état actuel des gestionnaires ne fait que contrecarrer tous ces efforts.
En fait, 75 % des responsables RH déclarent que les gestionnaires sont dépassés par la croissance de leurs responsabilités professionnelles (Gartner, 2023). On demande énormément aux gestionnaires, qui ne sont plus maîtres de leur temps. Plusieurs d’entre eux sont toujours en mode « pompier », avec des demandes constantes, sans pauses et durant de longues heures de travail. Dans ce contexte, plusieurs gestionnaires peuvent vivre de la déception quant à leur rôle. Pour ceux et celles qui ont fait un choix conscient d’accepter un poste d’encadrement avec des responsabilités liées au développement et à la performance d’une équipe, la réalité est loin d’être alignée avec ce choix. En fait, les gestionnaires n’ont pas les conditions d’exercice leur permettant d’avoir la disponibilité et la concentration pour réaliser une routine de gestion.
Pour se lancer dans l’aventure de la gestion et accepter un poste en toute lucidité, il faut comprendre les attentes que l’on a à notre égard; s’assurer d’avoir toutes les compétences et le soutien requis; évaluer la culture organisationnelle pour s’assurer d’une cohérence avec nos valeurs. Une fois intégré dans son poste, le gestionnaire devrait bénéficier de l’espace nécessaire pour jouer pleinement son rôle. Concrètement, deux demi-journées par semaine pourraient être réservées aux activités de gestion et feraient une énorme différence dans la vie des gestionnaires. Si les attentes sont bien alignées et que le temps ainsi que l’organisation de l’agenda redeviennent la « propriété » des gestionnaires, il est fort probable que le plaisir de gérer se ravive.
En ce début d’année, nous pourrions imaginer remettre le compteur à zéro pour mettre en place des pratiques qui valorisent l’expérience gestionnaire.
L’expérience gestionnaire suit quatre grandes phases d’un processus RH : le recrutement, la transition dans le rôle de gestion, le développement et la fidélisation.
Le recrutement
Avant même d’accéder à un poste de gestion, les contributeurs sont à même de constater la manière dont la culture organisationnelle valorise (ou non) l’exercice du leadership. Il importe donc de partager une vision positive, bien que réaliste du leadership, sans idéaliser le rôle pour éviter de futures déceptions. Plusieurs mécanismes peuvent être mis en place pour préparer la relève et pour cultiver le leadership : formaliser des discussions sur le cheminement de carrière, favoriser la délégation, les remplacements temporaires ou la participation à des comités stratégiques, offrir des programmes de développement aux futurs leaders, du mentorat, etc. En concevant le leadership plus largement et en commençant à le développer rapidement, on offre aux futurs leaders une préparation adéquate leur permettant de faire le choix conscient d’accepter ou non un poste d’encadrement.
La transition dans le rôle de gestionnaire
Il s’agit d’un moment de vérité dans l’expérience gestionnaire qu’il ne faut pas sous-estimer. Les clés d’une transition réussie? Une approche graduelle et un soutien présent. Le nouveau gestionnaire aura besoin de temps pour prendre ses repères, pour apprendre à connaître son équipe et ses nouveaux collègues et pour apprivoiser son nouveau statut. Il aura assurément aussi beaucoup de questions et d’hésitations. Fixer des cibles progressives, éviter de mettre de la pression pour des décisions ou des changements drastiques, élaborer un plan pour les 100 premiers jours et prévoir des rencontres régulières avec le supérieur immédiat sont des exemples de pratiques qui contribueront à rendre l’expérience du nouveau gestionnaire plus agréable dans cette période de grand changement.
Le développement
Plusieurs gestionnaires mentionnent ne pas se sentir suffisamment outillés face à leurs responsabilités de gestion. Que ce soit la gestion de la performance, l’influence de la ligne hiérarchique ou la gestion des changements, les défis sont tant humains que stratégiques. Investir dans le développement continu des gestionnaires devrait signifier d’y consacrer du temps de qualité (ne pas se faire déranger durant ses formations, par exemple), de favoriser les occasions d’expérimentation et de mise en pratique, d’offrir de la rétroaction bienveillante, etc. De plus, les gestionnaires apprécient grandement avoir accès à du temps pour faire partie d’une communauté de pratique leur permettant d’échanger entre eux sur leurs défis et d’y partager des solutions dans une zone sécuritaire exclusive.
La fidélisation
Finalement, la fidélisation des gestionnaires passe par la somme des différentes pratiques et conditions d’exercice abordées jusqu’ici. De plus, il est important de reconnaître les efforts et l’expertise de gestion, la capacité à développer des équipes et la contribution stratégique et non seulement les résultats opérationnels à court terme. Les objectifs de performance des gestionnaires devraient refléter ces dimensions. Ainsi, la priorisation claire et sans équivoque des activités de gestion devrait avoir un impact bénéfique sur la charge de travail qualitative et quantitative des gestionnaires, qui représente l’une des principales causes de désengagement actuellement. Il est finalement crucial d’avoir des conversations franches et fréquentes sur l’état des gestionnaires, sur leurs déceptions ou, au contraire, sur les éléments qui contribuent au plaisir qu’ils ont à gérer.
Les gestionnaires exécutifs, les supérieurs immédiats, les DRH et les partenaires d’affaires dans les fonctions de soutien peuvent tous contribuer à rendre l’expérience gestionnaire plus réaliste. Comme l’expérience employé ne sera jamais meilleure que l’expérience gestionnaire, qu’attendons-nous pour prioriser cette dernière?