C’est la rencontre de deux femmes, Catherine Privé, Québécoise et présidente de Alia Conseil et Lola Juhel, Française et consultante en développement organisationnel, combinée à un goût prononcé pour les questions relatives au leadership et à une dose d’excitation à l’idée de travailler sur les différences culturelles qui nous a lancées dans cette aventure.

Cette aventure est celle d’une humble étude réunissant 14 femmes leaders québécoises et 11 femmes leaders françaises, toutes issues de grandes ou de moyennes entreprises et de secteurs très divers. Nous avons mené avec chacune des entrevues semi-dirigées, d’environ une heure, en virtuel ou en présentiel en France et au Québec.

Notre idée? Évaluer l’influence des cultures sur l’ascension des femmes au pouvoir et sur leurs pratiques de leadership.

Par culture, nous entendons cibler les similitudes et les différences entre la France et le Québec, ainsi que celles liées aux types d’organisation (GE/PME; secteurs d’activités).

Zoom sur l’échantillon

 Image drapeaux 4 VF

Y a-t-il des différences culturelles entre la France et le Québec concernant l’ascension des femmes au pouvoir et les pratiques de leadership? Réponse : Non et oui!

Les témoignages issus des rencontres tenues avec ces 24 femmes leaders nous amènent à exprimer qu’aucune différence culturelle n’a été relevée concernant l’ascension des femmes au pouvoir. Les leviers et les freins dans la progression vers des postes à responsabilités semblent partagés par l’ensemble des répondantes.

Les dénominateurs communs concernant ces leviers sont :

  • la compétence;
  • la culture organisationnelle;
  • le réseau;
  • la personnalité;
  • la détermination;
  • le soutien des proches;
  • l’effort dans le travail.

Les Françaises se dénotent. Certaines nomment les politiques mises en place pour encourager la parité et l’influence du regard stéréotypé porté sur les femmes, ayant pu accélérer l’ascension vers un poste à responsabilités dans un milieu d’hommes.  En effet, l’organisation voulait « un regard de femmes ».

Concernant les freins, toutes semblent tomber d’accord sur le fait que rien n’a été vraiment bloquant dans leur ascension. En revanche, plusieurs répondantes ont soulevé quelques « ralentisseurs » de carrière ou des événements pouvant être dissuasifs.

Elles notent la puissance des « boys clubs » ou rendez-vous business très (trop) tôt ou tard en journée qui les privent de moments cruciaux. Elles confirment que beaucoup de décisions importantes sont prises en dehors de moments formels desquels elles sont exclues implicitement (le poids des responsabilités familiales étant notamment donné comme exemple).

En revanche, les différences culturelles pointent le bout de leur nez quand il s’agit de parler des pratiques de leadership.

La vision du pouvoir et du leadership

Nous avons pris le temps de questionner nos leaders exécutives sur leur vision du pouvoir et du leadership. Cela nous a semblé intéressant de creuser ces représentations avant même d’approfondir leurs expériences vécues.

La majorité partage une vision plutôt péjorative et négative du mot « pouvoir », qu’elles viennent du Québec ou de la France. Souvent galvaudé, mal employé ou témoignant de nombreux abus, elles préfèrent parler d’influence, de capacité d’action. Nous avons entendu de leur définition du pouvoir : « Faire avancer les choses sans que ce soit au détriment des individus. », « Influencer les autres à bon escient, pour une cause commune. », « Décider, mener, faire bouger. » ou encore « Le pouvoir, c’est quand tu demandes quelque chose et qu’ils le font, car ils ont compris et croient en ton idée. ».

Les leviers de l’influence sur autrui sont pour elles le fait d’être compétente, honnête et authentique, humble, soucieuse de la cause commune, soit de servir les intérêts des autres autant que les siens, être à l’écoute, être porteuse de discours et d’actes alliant sens et cohérence, être en action, visible dans son réseau et, par le biais de prise de parole, être motivée, engagée et fédératrice.

Les liens avec la posture et les pratiques de leadership se sont rapidement établis. Toutes tombent en accord sur la vision d’un leader. Nous avons résumé leurs propos en trois grandes catégories.

 Image schema circulaire

Toutefois, il est intéressant de noter qu’en France, c’est le terme management qui est couramment utilisé. Il désigne les pratiques associées à l’organisation du travail et aux relations humaines.

Au Québec, la gestion se distingue du leadership. Le premier renvoie à tous les savoir-faire requis pour organiser et suivre le travail, quand le second traduit la capacité d’un individu à orienter, à influencer et à accompagner vers l’atteinte d’un objectif commun.

En somme, le management « français » inclut la gestion et le leadership « québécois »; toutefois, en distinguant ces deux grandes responsabilités au Québec, cela conduit davantage les leaders québécoises à se concentrer sur la vision stratégique et sur l’accompagnement des équipes. Ceci se traduit très bien par les mots clés cités par les leaders québécoises interrogées, qui mettent davantage l’accent sur la confiance, le développement et l’encouragement quand on leur demande de partager leur vision du leadership. Les Françaises interrogées parlent en premier, de structure, d’organisation et de cadre.

Aucune pierre n’est lancée à l’égard d’une ou de l’autre vision; toutefois, nous pouvons ainsi noter une différence dans les pratiques de leadership liées notamment à ce constat.

Les différences associées au genre

Le rapport entre les femmes et les hommes au travail est le second point de différence émis entre le Québec et la France concernant les pratiques de leadership. Ce sont les leaders françaises ayant eu des expériences en France et au Canada qui ont notamment relevé ce point. Elles nous ont exprimé la plus grande facilité qu’elles ont eue personnellement à exercer leur leadership au Québec. Ce sentiment se traduit factuellement par une plus grande écoute, un plus grand nombre d’opportunités offertes pour agir et une plus grande facilité à prendre la parole lors de comités, de réunions et d’autres instances décisionnelles.

Plus largement, et indépendamment du genre, les Françaises notent une facilité et une fluidité dans les interactions plus importantes au Québec qu’en France, aidée par le tutoiement, mais aussi, et surtout, par une tolérance et une bienveillance culturelle notoire. La hiérarchie se fait moins ressentir dans les relations interpersonnelles, ce qui facilite les communications.

Et dans tout ça… Quelle est la part d’influence de la culture organisationnelle sur l’ascension des femmes au pouvoir et les pratiques de leadership?

La reconnaissance du leadership

Quel que soit le pays d’origine, les leaders rencontrées témoignent, par leur parcours, que la taille de l’entreprise a une influence sur la reconnaissance du leadership en général. Plus elle est grande, plus on observe une structure hiérarchique lourde, un manque de fluidité dans les interactions et les décisions à prendre et une rigidité liée à des processus nombreux freinant la réflexion créative et innovante. Le sentiment d’autonomie et les marges de manœuvre s’en retrouvent parfois plus restreintes; des tendances connues et toujours bien actuelles. Plus l’organisation ressemble à une PME, plus les tendances inverses s’observent : plus de liberté, de flexibilité de gestion et moins de compétition et de jeux politiques.

L’exercice du leadership semble ainsi plus facilité dans une PME. 

L’offre d’opportunités

Pour l’ensemble des femmes leaders rencontrées, l’ascension vers des postes à responsabilités a été un concours de circonstances, une opportunité qui s’est présentée à elles, et ce, indépendamment du type d’organisation dans laquelle elles ont été. Toutes désiraient la prise de responsabilités, le positionnement stratégique dans des décisions, mais aucune n’avait de plan de carrière clair et défini. Seule l’ambition les a poussées à saisir les opportunités qui se sont présentées.

Zoom sur le réseau

Bien que plus ou moins à l’aise avec le fait de cultiver leur réseau professionnel, elles témoignent de l’importance de s’y investir et de l’influence non négligeable qu’il peut avoir sur cette ascension. « Tu peux avoir un plan, si tu n’as pas les opportunités, rien ne se passe; donc, il faut cultiver son réseau. ».

Toutes sont impliquées de différentes façons (bénévolat associatif, membre de conseil administratif, présence à des salons, messages personnalisés, mise en relation entre ses contacts, animation ou participation à des conférences, publication sur les médias sociaux, déjeuner/dîner avec de nouvelles personnes, etc.).

La composition des milieux professionnels

Les milieux professionnels réunissant une grande majorité d’hommes démontrent deux grandes tendances, liées aux dynamiques relationnelles plus ou moins favorables à l’ascension des femmes au pouvoir.

  • La jalousie et la compétition entre femmes pouvant dissuader certaines à se « battre » pour obtenir des postes à responsabilités.
  • Le comportement paternaliste d’hommes à responsabilités mettant les femmes à une place inférieure « C’est si “cute” ce que tu dis là! » et les remarques stéréotypées « C’est un truc de bonne femme, ça. », « Tu t’occupes de la prise de notes et du compte rendu », « Tu nous sers des cafés. ». Bien qu’en baisse, cette réalité, toujours actuelle et particulièrement soulevée par les leaders françaises, rend complexe la projection dans l’exercice du rôle de leader et peut freiner l’ascension vers un poste à responsabilités; cela est notamment lié à un phénomène de conditionnement.

La fin de cet article met l’accent sur certains comportements observés au travail. Nous avons eu envie de confirmer ou non certains stéréotypes connus, associés notamment au genre féminin.

Observe-t-on des différences d’opinions concernant les stéréotypes de genre?

Sous la forme de tableau, nous partageons avec vous les tendances ressorties entre leaders québécoises et françaises. Elles témoignent de minces différences et de fortes similitudes.  

Tableau

[1]  Le phénomène de l’imposteur a souvent été qualifié de syndrome dans des articles non scientifiques. Toutefois, le terme « phénomène » est plus approprié, car il ne s’agit pas d’un critère de diagnostic clinique (Bravata et al., 2019 ; Ibrahim et al., 2021). Le phénomène est plus flexible : il peut être assimilé à un continuum. Ce sentiment peut être très ou peu présent et peut apparaître et disparaître à certains moments de nos vies.

Pour conclure

Que les résultats de cette étude soient influencés par des attributs culturels ou des opinions personnelles, ils nous ont permis de confirmer que les freins et les leviers semblent similaires, que l’on exerce un rôle de leader en France ou au Québec. Par ailleurs, il est évident que les styles de gestion peuvent être influencés par des facteurs liés aux attentes culturelles, aux normes professionnelles et aux modèles prédominants dans chacun des pays. Il n’en reste pas moins qu’il est toujours intéressant d’aller voir ailleurs pour s’inspirer des meilleures pratiques de part et d’autre.

Enfin, même si l’objet de cette étude n’était pas de comparer les leaders masculins et féminins, mais plutôt de comparer principalement les différences culturelles de la France et du Québec, il est important de poursuivre les efforts pour la parité. Le fait d’avoir autant d’hommes que de femmes dans une équipe de gestion contribue à sa force et à sa richesse.

Nous tenons à remercier ces 25 leaders exécutives qui ont bien voulu participer à cette étude, nous permettant ainsi de poursuivre nos réflexions sur le leadership.