Les grandes entreprises, interpellées par les opportunités d’affaires que crée l’ouverture des marchés mondiaux, se positionnent de plus en plus sur l’échiquier mondial. Les compagnies minières se développent sur plusieurs continents. De grands projets miniers se réalisent actuellement en Océanie, en Asie, en Afrique et dans les Amériques. Les pays dits émergents développent leurs propres projets afin de créer de la valeur pour leurs sociétés et se tailler une place dans l’économie de marché. Bien que ceux-ci souhaitent exploiter leurs ressources naturelles, plusieurs d’entre eux réalisent qu’ils ne possèdent pas localement les savoirs spécialisés nécessaires au développement et à l’exploitation d’une minière. Il va sans dire que l’acquisition de connaissances et de savoirs spécialisés inhérents à l’exploitation minière par des locaux se révèle critique dans leur quête d’autonomie.

Les savoirs développés au Québec et au Canada par des générations de travailleurs du secteur minier sont réquisitionnés afin de contribuer au développement des projets et des sociétés à travers le monde. L’expertise précieuse acquise s’inscrit alors dans une logique de transfert de compétences transcontinental. C’est dans ce contexte que le Québec et l’ensemble des pays développés sont de plus en plus appelés à expatrier de la main-d’œuvre spécialisée à travers le monde. L’expatriation des ressources humaines se situe alors comme une véritable stratégie de développement pour les minières en croissance et les pays en développement.

D’autres raisons militent également en faveur de l’utilisation d’une main-d’œuvre expatriée. Indépendamment des compétences de la main-d’œuvre locale, expatrier des employés maîtrisant des façons de faire, des connaissances pointues sur les produits et services et/ou la culture organisationnelle permettra à une entreprise de « contaminer » le milieu, de façon à agir comme un accélérateur du développement.

Peu importe les raisons de ce choix stratégique, il va sans dire que ce modèle de croissance comporte des défis qui lui sont propres. En effet, plusieurs expériences d’expatriation, bien qu’extrêmement coûteuses, se soldent par des échecs, faute des organisations d’avoir réalisé une réflexion sérieuse sur les défis humains qu’elles supposent.

« ... l’expatriation représente davantage une expérience de vie pour l’ensemble de la famille que strictement une expérience de travail pour un employé. »

Intéresser, sélectionner et retenir les candidats souhaitant œuvrer à l’étranger comportent des enjeux spécifiques avec lesquels il faut savoir composer. Les entreprises commettent souvent l’erreur de réduire le processus d’expatriation à une série de procédures administratives du départ à l’arrivée (passeport, assurances, visa de travail, fiscalité etc.). Il en résulte alors fréquemment une finalité précipitée du contrat de travail pour des raisons reliées davantage à des difficultés d’intégration des membres de la famille qu’à des raisons d’ordre professionnel. Malheureusement, très peu d’organisation réalisent encore de nos jours que l’expatriation représente davantage une expérience de vie pour l’ensemble de la famille que strictement une expérience de travail pour un employé. Malheureusement, peu d’organisations comprennent que les difficultés de rétention des travailleurs se situent très souvent en dehors même du travail. Ce qui nous amène à porter notre regard sur l’intégration de l’ensemble de la cellule familiale.

Une expérience d’expatriation réussie ; un facteur de rentabilité

Afin que l’organisation puisse avoir un retour sur l’investissement, l’employeur doit avoir une approche globale du processus d’expatriation. L’expérience démontre qu’une stratégie cohésive et structurée intégrant les trois principales phases de l’expatriation (avant, pendant et après) représente une stratégie gagnante et rentable pour les entreprises.

 

Afin de soutenir les organisations au plan de la rétention du personnel expatrié, j’ai eu la chance comme spécialiste de la mobilité de développer, en collaboration avec une multinationale du domaine manufacturier, un programme d’accompagnement professionnel, personnel et interculturel (PAPPI) en trois phases.

AVANT

La phase préparatoire comportait des ateliers de formation pour le (la) travailleur(euse) expatrié(e) et son (sa) conjoint(e), dont l’objectif est de faciliter l’intégration sur les plans professionnel et personnel dans le pays d’accueil. On y aborde les concepts d’intégration, de distance interculturelle et de diversité afin de mettre en lumière les étapes qui attendent la famille (lune de miel, choc, etc.). Ces ateliers de formation visent également à développer la connaissance de soi (ses croyances, ses valeurs) et celle de sa propre culture afin de bien comprendre l’impact de ses comportements sur les autres et favoriser ainsi l’ouverture et l’intégration à une autre culture.

L’expérience nous démontre que le (la) travailleur(euse) expatrié(e) s’adapte souvent mieux et plus rapidement que les autres membres de sa famille au pays d’accueil. Cette réalité s’explique en grande partie par le fait que le milieu de travail représente lui-même un espace structurant facilitant la réponse aux besoins sociaux et d’accomplissement personnel.

Cependant, peu anticipent les difficultés d’intégration pouvant être vécues par des membres de leur famille. Plusieurs travailleurs(euses) expatrié(e)s ont vu leur rêve d’oeuvrer à l’étranger se transformer en cauchemar en rencontrant ce type de difficultés au sein de leur famille. C’est pourquoi la formation pré-départ permet d’anticiper les problématiques pouvant se présenter et d’identifier dès lors des solutions possibles.

De plus, nous stimulons l’élaboration d’un projet personnel pour le (la) conjoint(e) accompagnateur(trice), permettant d’avoir un défi propre à soi facilitant la mise en mouvement du plan d’intégration sociale individuelle. L’atelier inclut également une réflexion sur le rôle parental au regard de l’accompagnement des enfants dans l’expérience de vie qui s’offre à la famille.

PENDANT

La phase d’actualisation : sa durée varie en fonction du contrat de travail et elle a pour objectif de faciliter l’intégration professionnelle et personnelle du travailleur et de sa famille. Ceux-ci bénéficient d’un accompagnement (coaching) interculturel et psychosocial. Un professionnel leur apporte un soutien en ce qui concerne les défis d’intégration qu’ils auront à relever (intégration au milieu, adaptation à une nouvelle équipe de travail, adaptation culturelle, etc.). Cette relation d’aide s’établit lors de rencontres face à face ou virtuelles (Skype, téléphone, courriel, clavardage, etc.). Elle vise à favoriser l’expression des pensées et émotions et à identifier des moyens pour soutenir l’intégration de l’expérience.

De plus, les parents reçoivent des outils concrets d’accompagnement de leurs enfants dans l’expérience d’expatriation.

APRÈS

La phase retour est souvent identifiée comme une période de deuil où les personnes réalisent leurs pertes (réseau social, défis professionnels, opportunités de développement). Il arrive aussi que l’expatrié ressente moins d’enthousiasme envers le travail qu’il exécutait avant son départ et trouve sa réalité professionnelle moins stimulante. Peut alors s’ensuivre une période de doutes caractérisée par un questionnement sur ses intérêts et son avenir professionnel. Cette période rend l’organisation vulnérable à la perte de ressources talentueuses et d’expertise critique sur lesquelles elle comptait. Pendant cette période, différentes pratiques ou mesures de rétention peuvent être prises pour faciliter l’intégration de l’expérience au plan professionnel.

De fait les organisations lean s’assureront que les compétences développées par le travailleur expatrié feront l’objet d’un bilan de compétences afin de permettre le retour sur l’investissement pour l’entreprise.

UN CAS PROBANT...

Dernièrement j’ai eu la chance de collaborer à titre de chargée de projet à un grand projet minier dans le sud Pacifique. Ce mandat s’est effectué plus précisément à Koniambo en Nouvelle-Calédonie. La compagnie minière en présence m’a interpellée comme spécialiste de la mobilité afin d’effectuer un diagnostic permettant d’identifier les besoins des familles expatriées. L’objectif ultime était de favoriser la rétention des travailleurs expatriés durant tout le projet, en veillant notamment à ce que toute la cellule familiale vive une expérience positive. La collecte des données effectuée a permis d’identifier certaines difficultés vécues par les familles en rapport avec l’intégration scolaire des enfants dans le système français, l’accès au logement et l’isolement ressenti.

« L’objectif ultime était de favoriser la rétention des travailleurs expatriés durant tout le projet, en veillant notamment à ce que toute la cellule familiale vive une expérience positive. »

Par la suite, des interventions de soutien spécifiques aux familles ont été proposées. Dans ce cas précis, certains expatriés n’avaient pas encore quitté leur pays d’origine ; ils ont donc suivi une formation préalable à leur départ. À cette occasion, des travailleurs et travailleuses, ainsi que leur conjoint, provenant de la Gaspésie, de l’Abitibi, du Saguenay et d’ailleurs ont participé ensemble à une journée et demie de formation. Ces familles ont ainsi pu faire connaissance, parler de leurs craintes et de leurs espoirs (établir des liens sociaux précieux) et, enfin, acquérir des compétences interculturelles.

Pour les expatriés originaires de l’Europe et de la République dominicaine, la formation prédépart a été adaptée à leur réalité et a pris la forme d’un webinaire. Les travailleurs expatriés et les conjoints déjà en place dans le pays d’accueil (la Nouvelle- Calédonie) se sont vu offrir un service de soutien et d’accompagnement interculturel et psychosocial, et ce, dans les trois langues (français, anglais, espagnol). Selon nos collaborateurs en ressources humaines sur place « les personnes ayant reçu une formation prédépart ont des attentes plus réalistes et sont plus positives face à l’expérience; cela facilite du coup leur intégration interculturelle ». De plus, l’accompagnement interculturel et psychosocial offert durant la phase d’actualisation (pendant) permet de trouver des solutions aux problématiques rencontrées au fur et à mesure plutôt que de vivre les impacts de l’accumulation de tensions sur tout l’environnement social.

CONCLUSION

Le développement socioéconomique du Québec nécessite que celui-ci se taille une place de plus en plus importante sur les grands marchés mondiaux. Nous avons développé un savoir-faire unique dans plusieurs domaines nous permettant de rêver d’occuper des espaces économiques sur la planète. Ce défi ne se relèvera que si nous avons des personnes détentrices de savoirs prêtes à s’investir sur des projets à l’étranger. Pour ce faire, nous devons développer des manières d’accompagner la ressource principale que constitue l’humain de façon à ce qu’elle puisse relever tous les défis personnels et professionnels qui s’offrent à elle dans le cadre de la mobilité internationale.