Faire plus avec moins semble être le leitmotiv à la mode par les temps qui courent dans l’appareil gouvernemental comme dans plusieurs entreprises privées nord-américaines. Cela demande à l’ensemble des fonctions des organisations de repenser les systèmes de façon à les rendre moins lourds et à simplifier les façons de faire, compte tenu des nouveaux impératifs économiques et budgétaires dans lesquels nous évoluons. Les services de formation des grandes entreprises ne sont pas exempts de cette réalité et sont interpellés par les directions à se repositionner globalement et de façon plus stratégique en se situant davantage en partenaire d’affaires. Combien de fois, dans les organisations, avons-nous entendu des clients proches des opérations demander au personnel agissant au sein des services de développement des compétences de concevoir des formations plus simples, moins longues, moins élaborées? La nécessité créant les choses, les services de formation des organisations, ayant subi dans les dernières années une pression importante des directions à se repositionner et parallèlement à faire une cure minceur (diminutions des budgets), se retrouvent dans l’obligation de revoir la structure de prestation des services pour leurs clients internes.

 

Alors, comment répondre aux besoins qui demeurent les mêmes ou qui s’accroissent, compte tenu des mouvements de main-d’œuvre? Déplacer le pôle de responsabilité et d’imputabilité du développement et du transfert des compétences vers les gestionnaires d’opération peut-il être une solution? Comment responsabiliser davantage ces gestionnaires d’opération du développement de leur main-d’œuvre, alors que depuis plus de 20 ans, les services de formation se sont positionnés (ou l’ont été) comme les principaux acteurs des structures de développement des compétences en milieu de travail? Voilà des questions auxquelles plusieurs tentent de répondre. La réflexion pédagogique/didactique et l’utilisation d’une grille d’analyse pédagogique permettant l’analyse des besoins de formation semblent toucher ses limites. La réalité d’apprentissage se complexifie.

 

Une lecture sociale et anthropologique de l’environnement d’apprentissage de l’apprenant pourra amener l’acteur en développement des compétences à réaliser une analyse de besoin plus générale (holistique) et complète. Ainsi, sa lecture, ses observations et son écoute de la réalité culturelle de la clientèle apprenante lui apporteront, pour un groupe donné, un portrait du mode naturel d’acquisition des connaissances, du développement et du transfert des compétences dans sa réalité d’opération. Prenons l’exemple d’un groupe d’opérateurs d’une manufacture où nous avons eu la chance d’intervenir dans les dernières années. Ce milieu de travail, composé majoritairement d’hommes peu scolarisés (niveau d’études secondaires) qui évoluent au niveau d’une représentation du monde extrêmement concrète, priorise naturellement un modèle d’acquisition des apprentissages dans l’action de type compagnonnage non structuré. Pourtant, pendant nombre d’années, un modèle d’acquisition des apprentissages très structuré de formation en classe a été priorisé comme stratégie principale d’acquisition des compétences. Ces modèles, souvent pensés par des spécialistes (scolarisés) de la pédagogie, tentent d’amener l’apprenant dans une mode d’apprentissage culturel qui n’est pas le sien et qui peut agir comme un ralentisseur à l’apprentissage en demandant à l’apprenant de sortir de ses réflexes d’acquisition de compétences naturels. Cette dénaturalisation du mode d’acquisition nécessite non seulement de déployer l’énergie d’apprentissage, mais également une énergie d’adaptation au mode d’acquisition des apprentissages définis par le système de formation. Dans les faits, cela peut se traduire par du présentéisme en classe, de la démotivation, des résistances de toutes sortes et l’expression directe de la hâte que le cours se termine pour se retrouver dans l’action du travail.

  

La redéfinition des systèmes de formation peut représenter une opportunité de revoir les stratégies de développement des compétences de façon à s’attacher aux médiums pédagogiques culturels (naturels) en présence pour construire des structures d’apprentissage plus proches des clients, en les bonifiant des connaissances acquises par les sciences de l’éducation. Ce qui pourrait conduire, dans le cas du groupe d’opérateurs d’une manufacture cité plus haut, à construire une démarche de compagnonnage structurée et structurante pour l’apprenant.