Le Nord québécois fait face à des enjeux importants en matière d’attraction de main-d’œuvre. Le développement de plusieurs projets importants, le nombre insuffisant de travailleurs, ainsi que la moyenne d’âge du bassin de main-d’œuvre disponible sont à l’origine de cette situation. En effet, le nombre de travailleurs disponible ou qualifié est moins important dans les régions éloignées que dans les grands centres urbains (Rowan, 2011). Or, malgré l’importante offre d’emploi, ces régions sont souvent moins attrayantes pour les travailleurs et leur famille, notamment en raison de leur positionnement géographique.


Alors que le Nord manque de ressources, le Sud se voit confronté aux mesures d’austérité à venir et anticipe de nombreuses coupures. Les entreprises du Sud, soucieuses de conserver leurs travailleurs dans un contexte économique plus frileux, doivent penser à de nouvelles solutions pour retenir leurs talents, lesquelles ne peuvent pas se restreindre à la réduction des heures.


Et si les problèmes du Nord devenaient les opportunités pour le Sud, et vice-versa? Et si les compagnies du Sud prenaient des ententes avec celles du Nord pour leur prêter temporairement leurs ressources, lors de périodes plus creuses? Et si ce qu’on appelle le fly-in/fly-out, ou la rotation bimensuelle, en français, devenait une des solutions possibles?

 

Le fly-in/fly-out : de quoi parle-t-on?


Le fly-in/fly-out se présente lorsque des circonstances particulières font en sorte que le lieu de travail est suffisamment isolé du lieu de résidence des travailleurs pour rendre irréaliste la réalisation du trajet quotidien entre les deux sites (Watts, 2004). En réponse à ces circonstances, les employeurs offrent à leurs employés des horaires de travail condensés : plusieurs jours de travail consécutifs, suivi de plusieurs jours de congé (CSMO Mines, 2012).


Au Québec, le principal type d’horaire disponible pour les travailleurs fly-in/fly-out est le « 14-14 », soit travailler 14 journées consécutives, puis prendre 14 jours de congé (CSMO Mines, 2012). Pour que ce type d’horaire soit viable, les journées de travail sont longues, variant entre 10 et 12 heures. Le transport des employés vers le milieu de travail se fait par le biais d’avions nolisés, dont les points de départ se font à partir de villes spécifiques, comme Montréal, Québec ou Rouyn-Noranda (CSMO Mines, 2012).


Afin d’obtenir un portrait plus clair de la réalité des travailleurs fly-in/fly-out, Alia Conseil a réalisé des entrevues avec des individus concernées : neuf travailleurs fly-in/fly-out et une conjointe ont été interviewés. Les travailleurs avaient entre 1 et 25 ans d’expérience en fly-in/fly-out et deux avaient de jeunes enfants. Les prochaines lignes rapportent ce qu’ils ont exprimé en entrevue.

L’attrait du fly-in/fly-out : au-delà des évidences


Le défi, l’éloignement, l’attrait du Nord, les nombreux congés… Au départ, l’attirance pour le fly-in/fly-out ne se limite pas au seul désir d’avoir accès à une série congés consécutifs. En fait, plusieurs travailleurs ont soulevé que le Nord s’était présenté comme une opportunité pour eux, souvent en sortant de l’école, pour aller faire leurs preuves, pour surmonter un défi ou pour avoir l’occasion de mener des projets majeurs par eux-mêmes. Au Nord, les jeunes travailleurs ont l’opportunité d’occuper des responsabilités plus importantes qu’ils ne pourraient occuper s’ils restaient dans la région de Montréal, par exemple. Cette expérience devient ainsi attirante pour les jeunes, notamment pour leur développement professionnel.

 

Quand le fly-in/fly-out devient un mode de vie


Une fois l’expérience tentée et la première année passée, les éléments qui retiennent les travailleurs se diversifient. Bien que la moitié des travailleurs rencontrée ait mentionné que le salaire élevé était un facteur important de rétention (les indemnités d’éloignement peuvent atteindre de 5 à 35 % du salaire de base (Barbe, 2013)), l’élément le plus souvent mentionné est la qualité de vie qui découle du fly-in/fly-out. Grâce aux nombreuses journées de congé consécutives, les travailleurs ont plus de temps libres, peuvent complètement décompresser de leur travail et ainsi passer davantage de temps de qualité en famille. Ils peuvent davantage se permettre de voyager et de réaliser les tâches quotidiennes à leur rythme (plutôt que de devoir tout accomplir en deux jours, les fins de semaine).


Chaque situation ayant son pendant négatif, la principale difficulté rencontrée par les travailleurs est leur absence et/ou la distance lors d’évènements importants, qu’ils soient heureux (naissance, mariage, premiers pas de son enfant) ou malheureux (décès, maladie). Cette distance se fait également sentir dans la relation avec le conjoint, certains travailleurs ayant mentionné qu’il est plus facile de prendre des chemins différents avec la distance. Le fait de laisser son partenaire seul à la maison pendant deux semaines pour s’occuper du quotidien de la maison et des enfants était également nommé comme difficile. Les travailleurs rappelaient l’importance d’une communication saine et solide au sein du couple afin de consolider la relation et de surmonter la distance. Ils nommaient également l’importance de la mise en place de stratégies pour faciliter le quotidien du conjoint qui demeure seul à la maison (p. ex., aide domestique, contrat de déneigement, proximité de la famille).


Lorsqu’interrogés sur le profil que devraient rechercher les entreprises qui veulent embaucher des travailleurs fly-in/fly-out, les principales caractéristiques soulevées ont été la capacité à vivre en collectivité, à s’adapter aux changements/déplacements, la discipline et la fiabilité au travail, ainsi qu’une certaine indépendance, pour ne pas trop souffrir de la distance avec la famille.


Embaucher des fly-in/fly-out : défis et opportunités


L’embauche de travailleurs fly-in/fly-out a l’énorme avantage de permettre aux entreprises en région d’obtenir la main-d’œuvre et l’expertise non disponible localement. En contrepartie, les entreprises se retrouvent souvent avec des travailleurs qui ne souhaitent pas s’impliquer dans la communauté et qui ne ressentent pas le besoin de créer des liens durables (Walford, 2012). Un défi important pour les entreprises consiste donc à trouver des stratégies pour arriver, non seulement à attirer les travailleurs qui ont les meilleurs profils pour demeurer au sein de l’entreprise, mais également à conserver ces travailleurs.


Dans cet ordre d’idées, différentes stratégies d’accompagnement aux entreprises sont possibles afin qu’elles puissent mieux répondre aux besoins particuliers des travailleurs fly-in/fly-out. Ces stratégies incluent :


• accompagnement aux entreprises dans l’identification et l’intégration des travailleurs ayant les caractéristiques appropriées pour le fly-in/fly-out;


• accompagnement dans la création d’outils d’aide à la tâche et de programmes de compagnonnage, pour faciliter le transfert des connaissances et compétences entre employés (d’un chiffre de travail à l’autre, ou suite à un départ);


• accompagnement psychosocial des travailleurs lors des périodes plus difficiles;


• formation sur-mesure aux gestionnaires en fonction de leurs besoins spécifiques, tels la communication interpersonnelle, la gestion du stress, la gestion du double-rôle et de la proximité (patron ou collègue de jour, puis compagnon de résidence le soir);
• plan de gestion des compétences pour bénéficier des talents des travailleurs fly-in/fly out.

 

Dans la perspective d’utiliser le fly-in/fly-out comme solution possible aux ponctuels ralentissements économiques, les PME du Sud, pour s’assurer de conserver les travailleurs qu’elles prêtent aux grandes organisations du Nord, gagneront à mettre en avant-plan des pratiques favorisant la rétention de leurs propres travailleurs. À cet égard, la mise en place de bonnes pratiques de gestion, favorisant la proximité et l’engagement des travailleurs, est un incontournable. Plus opérationnellement parlant, la définition d’ententes contractuelles claires, incluant des clauses de non concurrence, entre les entreprises « prêteuses » et « receveuses », serait à favoriser pour éviter les faux pas.


Références
Barbe, J.-F. (août 2013). Propulser sa carrière avec la navette aérienne. Les carrières de l’ingénierie 2014. Joboom conseils. Repéré le novembre 2014 à http://www.jobboom.com/carriere/propulser-sa-carriere-avec-la-navette-aerienne/


Comité sectoriel de main-d’œuvre de l'industrie des mines (CSMO Mines). (2012). Explore les mines.com : Info travail minier. Page consultée le 9-08-2013. Repéré à http://www.explorelesmines.com/travail-minier-questions.html


Rowan, A. (Printemps 2011). Nouveaux travailleurs miniers : Accorder intégration et SST. Prévention au travail, 24(2),17-19.


Watts 2004, p.26) dans Morris, R. (2012) Scoping Study: Impact of Fly-in Fly-out/Drive-in Drive-out Work Practices on Local Government. Australian Centre of Excellence for Local Government, University of Technology, Sydney.


Walford, M. (2012). The Uncommitted Workforce: Development of Organisational Commitment in Fly-In Fly-Out (FIFO) Workforces Through Organisational and Supervisor Support. Document inédit, Murdoch University, Perth, Western Australia