L’amitié au travail n’est pas toujours bien perçue. En effet, selon certains, elle pourrait faire en sorte de complexifier les décisions difficiles en ajoutant un facteur humain aux décisions « rationnelles » liées au travail ou encore, elle pourrait être une source de distraction, de par les pauses « jasettes » qu’elle est susceptible d’engendrer. Dans certaines organisations, on en est même venu à dire que l’amitié au travail n’avait pas sa place et fait régner une règle anti-amitié au travail (Clark, 2013)… Cela pourrait toutefois être une grave erreur, puisque les diverses relations d’amitié qu’une personne peut développer au fil du temps dans le cadre du travail pourraient grandement influencer comment elle se sent au quotidien et la satisfaction qu’elle retire de son expérience de travail.

 

Quelle est la place pour l’amitié au travail?


En raison de la relation étroite entretenue avec lui, le supérieur immédiat est généralement considéré comme la personne qui fournit le soutien le plus important aux travailleurs. Néanmoins, étant donné la fréquence des contacts et la complicité qui peut s’y instaurer, les relations entretenues avec les collègues de travail suivent de très près cette relation privilégiée dans le classement des relations professionnelles significatives (Dagenais-Desmarais et al., 2014).


En fait, puisque nous passons de plus en plus de temps au travail, les collègues deviennent souvent le réseau social avec lequel nous entretenons le plus de contacts (Clark, 2013), au-delà de nos amis d’enfance, de notre conjoint ou de notre famille. Il devient donc inévitable que des amitiés se créent. Celles-ci seraient d’ailleurs souhaitables, autant pour la santé des individus que pour les bénéfices organisationnels qui en découlent.

 

Amitié, santé et performance


Parce qu’elle permet de combler un besoin psychologique essentiel, l’amitié au travail contribue au bien-être des individus (Dagenais-Desmarais et al., 2014). En effet, créer des relations entre collègues permet aux individus de développer un respect et une confiance réciproque, de réduire le stress de l’un et l’autre et permet de s’encourager mutuellement, ce qui augmente l’optimisme ainsi que diverses autres attitudes positives au travail. Par exemple, il a été démontré que la satisfaction au travail pouvait augmenter de 50 % lorsque les individus avaient un meilleur ami au travail (Gallup, cité dans Riordan, 2013).


L’amitié au travail permet d’établir un réseau d’entraide entre collègues, puisqu’il devient alors possible de faire appel à l’autre pour des conseils, des rétroactions ou simplement pour obtenir des informations. Ainsi, elle agit comme une ressource importante pour surmonter des obstacles lorsque des situations plus négatives surviennent (Lee & Ok, 2011). À long terme, le fait d’avoir su développer et maintenir des relations d’amitié au travail pourrait donc créer un cercle vertueux de divers impacts positifs dans la vie professionnelle des individus et ces impacts pourraient même se répercuter dans leur vie personnelle. Cela serait d’ailleurs de plus en plus vrai, avec la frontière entre la vie personnelle et professionnelle qui tend à se confondre davantage.


Puisque la performance dépend souvent de l’interaction entre collègues et repose de moins en moins sur l’organisation mécanique du travail, la présence de relations d’amitié pourrait aussi permettre de distinguer les équipes de travail qui réussissent bien de celles qui réussissent moins bien. D’une part, l’amitié entre collègues contribuerait à instaurer un climat et une dynamique d’équipe positive, à augmenter le sentiment d’appartenance à l’équipe et aurait un effet positif sur la loyauté, le taux de rétention et l’absentéisme (Lee & Ok, 2011). Aussi, les équipes de travail où règnent un climat d’amitié et de collégialité pourraient devenir un facteur d’attraction contribuant à la marque employeur (Clark, 2013). D’autre part, le fait d’entretenir des relations d’amitié avec les collègues contribuerait à augmenter la coopération et le niveau d’énergie déployé dans le travail. De la même façon, cela pourrait faire en sorte d’augmenter les comportements d’altruisme, puisque les individus seraient portés à en faire un peu plus, et donc cela pourrait permettre des performances d’équipes supérieures et une productivité accrue (Lee & Ok, 2011). Également, le fait de créer des relations d’amitié avec les collègues rendrait le travail plus agréable et cela se ressentirait au niveau de la clientèle, puis éventuellement au niveau de la profitabilité de l’organisation.


En somme, les relations d’amitié au travail représenteraient un moyen simple et efficace d’améliorer la santé des employés et, via un meilleur climat de travail, la performance de l’organisation. À mon avis comme aux yeux de plusieurs experts (ex. : Riordan, 2013), lorsqu’on s’arrête à peser le pour et le contre de l’amitié au travail, ces avantages positifs ont beaucoup plus de poids que les quelques désavantages et risques qu’on peut y trouver…

 

Références


• CLARK, D. (2013). Debunking the no friends at work’ rule : why friend-friendly workplaces are the future, Forbes, http://www.forbes.com/sites/dorieclark/2013/05/21/debunking-the-no-friends-at-work-rule-why-friend-friendly-workplaces-are-the-future/3/.
• DAGENAIS-DESMARAIS, V., J. FOREST, S. GIROUARD et L. CREVIER-BRAUD (2014). « The importance of need supportive relationships for motivation and psychological health at work », dans N. Weinstein (Éd). Human Motivation and Interpersonal Relationships: Theory, Research and Applications, p. 263-297, Springer : Pays-Bas.
• LEE, J. J., and C. OK (2011). Effects of Workplace Friendship on Employee Job Satisfaction, Organizational Citizenship Behavior, Turnover Intention, Absenteeism, and Task Performance, Kansas State University.
• RIORDAN, C. M. (2013). We all need friends at work, HBR, https://hbr.org/2013/07/we-all-need-friends-at-work.